copyright BAYARD PRESSE 1ère page du livre : « La pluie avait cessé de tomber vers onze heures, d'un seul coup, comme elle était venue. Les nuages s'étiraient et s'effilochaient, laissant apparaître un ciel bleu éclatant. La vie s'écoulait doucement dans les collines, les vaches paissaient tranquillement le long des champs de maïs, les enfants couraient et jouaient dans les flaques d'eau, s'éclaboussant d'une boue rouge orangé.

Peu avant midi, comme un coup de tonnerre, un premier roulement de tambour rompit cette paisible torpeur. Puis un autre, suivi de dizaines, de centaines d'autres. Leur son roulait de colline en colline, glissant allègrement sur les feuilles encore mouillées des bananiers, des flamboyants et des bougainvilliers, rebondissant sur les enclos plantés de colocases, d'avocatiers et de haricots, emplissant le ciel de son rythme endiablé et faisant trembler les parois des cases de tous les rugo de la province de Muramvya. Partout les têtes se relevaient, attentives et interrogatives, les travaux des champs s'interrompaient. Le son des tambours primait sur tout, il était animé d'une vie propre et d'un sens que chacun s'efforçait de décrypter. L'événement était manifestement de taille ; on pouvait dire aussi, au tempo des tambours, que c'était un événement heureux. L'annonce d'un décès ou d'un drame se serait faite sur un tout autre rythme. Nul doute, les tambours royaux faisaient part d'une bonne nouvelle aux populations du pays. Les enfants commencèrent d'ailleurs à danser en riant, inspirés par la liesse qu’ils sentaient monter dans les airs. De petits groupes de paysans se formèrent, les langues allaient bon train, on supputait, on s'interrogeait, on tentait des interprétations: serait-ce... ou bien... N'avait-on pas entendu dire récemment que la princesse Agrippine était enceinte ? Serait-ce déjà sa délivrance ?

Peu après, la nouvelle se confirma : le prince Ignace Kamatari, frère du roi Mwambutsa IV, et la princesse Agrippine annonçaient au pays tout entier la naissance de leur fille, Esther. Le bébé n’était pas bien gros, deux kilos à peine. La naissance s'était bien passée, grâce aux soins diligents des sœurs de la mission protestante de Kibimba dont l'hôpital était le seul endroit auquel le prince Kamatari, taraudé par l'inquiétude, avait accepté de confier son épouse bien-aimée: l'état de santé de la princesse causait en effet quelque inquiétude et son entourage luttait avec elle contre les effets d'un empoisonnement qu'on soupçonnait d'être criminel. Agrippine avait ressenti les premières douleurs de l'enfantement avec une violence extrême et suspecte. Mais tout s'était bien terminé: la mère et l'enfant se portaient bien.

Nous sommes le 30 novembre 1951, dans un Burundi traditionnel, paisible, agricole et pastoral. Un Burundi créé par Dieu dans la couleur de l'espérance, car comme on dit là-bas : « Quand Dieu a fait le Burundi, il a pris une palette de vert et il s'est bien amusé! ».